EDIT : Je dois à la postérité quelques ajustements, la fin de ce texte est mauvaise, je me suis un peu laissé emporté, je crois, par un peu de mauvaise foi.
Ca fait longtemps que j’explore son territoire. Elle n’est pas facile à saisir, tu le sais maintenant, je t’écris de temps en temps pour te donner de ses nouvelles mais pas trop. Je voudrais pas que tu tombes amoureux toi aussi parce que si tout le monde s’y met elle va finir par le trouver, le bon. Déjà que l’homme le plus beau du monde a enfin mis les voiles et que je l’ai pour moi tout seul, ce serait dommage que je me grille en te la refilant, comme un bon tuyau.
Il a mis les voiles, c’est une chose, mais il n’a pas complètement dégagé le plancher l’animal, le souvenir est tenace, elle s’accroche. Régulièrement elle retombe en mélancolie (Maupassant disait que c’était un truc noir la mélancolie, moi je dirais plutôt que ça a une chemise prune, mais c’est un avis personnel et je ne me risquerais pas à chatouiller Maupassant sans une bonne raison) et pour l’en sortir c’est juste pas possible. Il y a bien les restos mais c’est qu’on est devenus pointilleux elle et moi. Que des étoiles (bon c’est vrai qu’ici, à la préfecture on a pas beaucoup d’étoiles, alors on écume les gastros et on a vite fait le tour, tiens, tu sais que sans le savoir on a eu la chance de tétatéter pour la Saint-Valentin, elle déguisée en impératrice et moi en pingouin, dans le seul étoilé du coin ? N’empêche c’était chié, la vache si c’était chié, ce qu’on s’est mis, l’overdose de trucs trop bons, je te refile pas l’adresse parce que tu mérites pas et tu risquerais de me l’inviter dans le dos sale con que tu peux être quand tu t’y mets) des balades en bord de Seille à faire de la balançoire (truc de ouf la balançoire, tu sais les puces de quand tu étais petit, en plastique, bombées, que tu retournais comme des chaussettes et que tu posais quelque part en attendant qu’elles claquent et sautent en l’air ? Ben pareil, en plus grand et en très accroché avec des chaînes. Évidemment ça c’est une image d’elle, la puce, l’imagination c’est son truc, la pédagogie aussi. Pour m’expliquer les trucs simples que je ne comprend pas) il y a de la place pour deux, j’ai fini par oser la toucher.
Après toutes ces années, je pouvais non ? L’effleurer seulement, caresser le doux de sa peau ? La protéger des agressions de la vie, pas qu’elle s’abîme. Mais tu es trop forte pour ça, tu n’as pas besoin de moi, tu es bien plus forte que moi d’ailleurs. Je sais que c’est ce que tu crois. Puis il y a eu la pluie, le torrent purificateur, la saucée mémorable, de celles que tu n’as qu’une fois, perdu au milieu de la nature, à plusieurs minutes de marche de ta voiture, sans abris, sans arbre, sans veste, sans idée géniale de Mac-Guyver de l’amour pour l’empêcher de se liquéfier de se dissoudre, de disparaître, son mètre cinquante emporté par le torrent dans les égouts de la ville… donc trempés, bien trempés même, dégoulinant. Alors je l’ai attrapée, soulevée et elle m’a demandé ce que je faisais. Tiens oui d’ailleurs qu’est-ce que je fais là ? Rien. Je te soulève, te porte, te transporte et j’essaie de me rapprocher de toi. Je te repose. Viens, faut qu’on rentre, essaye de pas trop mouiller les sièges, tu veux pas te mettre nue ? Non. Je me disais aussi.
Alors il y a eu la serviette, la tentative de bisou qui rippe et qui rate (qu’est-ce que tu fais, là, Pierrot ? On avait dit non, on avait dit “pas toi”, on avait dit que tu insistais pas et on avait dit aussi qu’on s’aimait beaucoup pour toute la vie), le retour, l’angoisse de la pneumonie, l’air con quoi.
Et après c’est la grande accélération, Service Volontaire Européen prévu depuis des semaines en Roumanie qui se déroulera en Espagne mais plus tard que prévu, le déménagement mais sa présence pendant encore quelques mois mais en fait non c’est tout de suite qu’elle part pour l’été. Elle est SDF, je les héberge, elle, son chat et son yukka et je me rend compte du malheur que c’est d’avoir un clic-clac au salon. La grande réorganisation, les choses qu’on trie, qu’on laisse, qu’on donne, qu’on abandonne, qu’on prend et celles dont on se débarrasse. Et le repas, dans un fast-food de pâtes dégueulasses et qui tachent les chemises blanches. Et le petit geste amoureux, l’énième tentative (qu’est-ce que tu fais, là, Pierrot ? Tu peux pas je t’ai dit, retiens toi !)
Retiens-toi.
Je suis un sage qui a décidé de ne pas devenir prêtre mais qui endure le séminaire. Retiens-toi ! Je veux te dire que je t’aime. Retiens-toi ! Je veux te dire que j’ai envie de toi. Retiens-toi ! Je veux te toucher, te masser, te caresser. Retiens-toi ! Je veux tout plaquer pour te suivre. Eh bien fais le. Ou ne le fais pas. (Diiiis Pierrot, tu m’emmènes au bord de la mer ? Diiiiis Pierrot, tu viens avec moi à Vladivostock ? Diiiis Pierrot, tu m’accompagnes en Grèce ? Diiiis Pierrot, tu viens avec nous faire ce stage de théatre toulabas ? Diiiis Pierrot, maintenant que tu m’as dit que j’avais un lit chez toi, je suis ta nouvelle colloc hein, je peux revenir quand je veux ?) Non, non, non, nooooooooon ! Mais… tu es un lâche, tu le sais ?
Je veux des oeufs à la neige, des éclairs au chocolat, des profiteroles, du pain, du munster qui PUE, des kilos de saucisses, des hectolitres de vin, des mètres cube de champagne, des forêts de pâtes, des montagnes de pâtisseries, je dois finir mon assiette, finir mes plats, finir LES plats, rien ne doit rester, je suis la poubelle, le grand nettoyeur, l’ultime aspirateur à bouffe, le grand ordonnateur de la propreté culinaire… (ton régime vains Dieux, les quinze kilos que tu as réussi à perdre, déconne pas, RETIENS-TOI !)
Jusqu’à maintenant c’était moi qui avait fixé les limites de ce que je pouvais dire, de ce que je devais faire, de ce que j’estime être politiquement correct, socialement acceptable. J’ai beaucoup de limites sociales. Je veux être parfait. Donner l’illusion de cette sagesse et qu’on m’apprécie pour ça.
Eh, tu sais quoi ? J’ai réussi. Tu veux une preuve ? J’ai des Werter’s Original’s dans ma voiture et bien tous ceux qui montent dedans les voient et me disent, Ouaaaaaaaaaaah des Werter’s Original’s, je peux en prendre un dis, c’est comme dans la pub, ça fait trop de souvenirs (et là tu entends le… “Comme mon Grand Père…”)
Toi, je n’en peux plus de te parler, je ne veux plus nous entendre, je me sens mauvais, je n’ai plus d’idées, je ne sais plus quoi te dire, je me répète et je déteste ça. Je voudrais simplement être comme les autres. Désolée Pierrot, pas toi, je préfère que tu soies toi, que tu souffres et que tu m’aimes, alors, retiens-toi !
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